Générateur de discussions (et de critiques) depuis sa sortie sur Netflix, le film satirique Don’t Look Up (Déni cosmique) met de l’avant le décalage entre la panique des scientifiques au fait d’une menace existentielle pour la Terre et le déni des politiciens, des médias et d’un pan de la société. Les scientifiques du climat, une autre crise de laquelle le film est une allégorie, se sentent-ils animés du même sentiment d’impuissance que Randall Mindy et Kate Dibiasky ? La Presse a interrogé quatre climatologues québécois.
Publié le 21 janvierSylvain Sarrazin La PresseValérie Simard La PresseDécouragement, colère, anxiété : les émotions ressenties par les protagonistes de Don’t Look Up ont-elles trouvé un écho chez Philippe Gachon, professeur d’hydroclimatologie à l’UQAM ?
« Absolument, ça m’a rejoint sur plusieurs aspects », dit-il, déplorant que malgré les évidences brandies par les scientifiques, ces derniers peinent à se faire entendre et à engendrer des actions. « Dans le film, la coordination est tellement mauvaise qu’on finit par prendre des décisions qui n’ont pas d’allure. Dans la réalité, on a effectivement une grosse épée de Damoclès au-dessus de la tête, et ce n’est pas faute d’avoir des rapports », note-t-il, évoquant ceux du GIEC, mais aussi de l’UNDRR (Bureau des Nations unies pour la réduction des risques de catastrophes), qui a mené au protocole de Sendai, ratifié par le Canada en 2017 en sa présence. « Qu’a-t-on réalisé quatre ans après ? Pas grand-chose. À chaque crise, on est pris au dépourvu. »
À la tête d’un réseau interuniversitaire sur les inondations, il observe un délai entre la parole et les actes des gouvernants. « On le voit aussi dans le film, les politiciens remplissent des mandats pour être capables de se faire élire quelques années plus tard. Et ça, c’est frustrant. Ça ne veut pas dire qu’ils ne comprennent pas certains enjeux, mais je pense qu’ils n’ont pas encore réalisé l’ampleur de ce qui nous attend. »
Malgré tout, une étincelle d’optimiste l’anime : celle de la mobilisation des jeunes générations, qui vivront avec des conséquences plus marquées. « Je pense qu’elles ont compris le problème. Des Greta Thunberg, il y en a partout sur la planète, l’écoanxiété grandit chez eux. Il faut les aider en se mettant à leur niveau, pour qu’ils passent à l’action sans reproduire les erreurs de la génération précédente. »
Professeur au département des sciences de la Terre et de l’atmosphère de l’UQAM, Alejandro Di Luca compte parmi les auteurs principaux du sixième Rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), dont le premier volet a été publié en août dernier… le jour de l’annonce du transfert du joueur vedette Lionel Messi au PSG. En France du moins, l’un a éclipsé l’autre. S’il se dit néanmoins satisfait de l’écho qu’a reçu le rapport dans le monde, le chercheur admet être animé parfois d’un sentiment d’impuissance et de découragement.
« J’ai ressenti ça, dit ce spécialiste de la modélisation régionale du climat et des évènements climatiques extrêmes. Mais ça m’arrive de ressentir ça très souvent. »
Il y a beaucoup d’injustice dans ce monde dont on est au courant, on a plein de données qui nous le montrent et on ne fait rien. »
Alejandro Di Luca, professeur au département des sciences de la Terre et de l’atmosphère de l’UQAM
« Le film montre bien la complexité et les difficultés qu’on a de bien communiquer la science pour que les données entraînent des changements dans la société. Il y a tout un travail qui dépend en partie de nous, les scientifiques. On a souvent de la difficulté à bien communiquer la gravité ou la sévérité de la situation. Il y a probablement aussi une responsabilité de la part des médias. On voit dans le film comment le divertissement est plus important que même la fin du monde ! »
Mais, point encourageant selon lui, notre capacité d’action en matière climatique est plus grande que devant une comète qui fonce droit sur la Terre.
Comme bien des cinéphiles, la professeure Alexandra Lesnikowski, à la tête du Laboratoire de l’adaptation aux changements climatiques de l’Université Concordia, a trouvé le film à la fois drôle et douloureux. « Il reflète beaucoup la frustration ressentie non seulement par la communauté scientifique, mais aussi par le grand public », indique-t-elle. Mais malgré certaines périodes de découragement, elle se considère comme « prudemment optimiste ».
La climatologue rappelle à quel point il peut être difficile de trouver la bonne mise en forme pour les messages scientifiques — on voit les protagonistes de Don’t Look Up patiner et évoluer à ce sujet.
Cela constitue un défi de rendre accessible au public et aux décideurs un langage scientifique qui peut être complexe et émaillé de jargon. […] Des efforts ont été faits ces dernières décennies pour mieux expliquer, et nous continuons de chercher à trouver les façons les plus efficaces de le faire.
Alexandra Lesnikowski, professeure au département de géographie à l’Université Concordia
À ses yeux, Don’t Look Up constitue en soi un puissant outil de communication, captant l’attention du public et provoquant des discussions sur les changements climatiques.
Autre point abordé : comment les intérêts économiques menacent de brouiller les cartes, le film dénonçant l’avidité capitaliste qui parasite les solutions. « Le changement climatique est lui-même le résultat historique d’inégalités économiques et politiques, provoquant la prévalence de certains intérêts sur d’autres. On craint toujours que les intérêts enracinés dans notre système actuel, provoquant d’importantes émissions, puissent détourner l’agenda d’une transition vers de nouvelles technologies ou un nouveau système économique », soutient-elle, précisant que toutes les voix devraient être entendues lors de la transition climatique.
« La majorité des gens y croient maintenant [au réchauffement climatique], mais ça ne se traduit pas dans des actions très concrètes », déplore Alain Royer, professeur au département de géomatique de l’Université de Sherbrooke. Spécialisé en climatologie, il étudie les effets du réchauffement en Arctique depuis 20 ans.
Alain Royer se dit de nature optimiste. Le scénario catastrophe où tous meurent à la fin, très peu pour lui. « On va trouver. L’homme est assez intelligent pour arrêter de se détruire lui-même et quand ça va vraiment gêner… Il existe des solutions à long terme qui demandent du financement. Quand je vois les sommes phénoménales qui ont été mises sur la COVID, ce qui est une bonne chose, je me dis que si on faisait la même chose pour le développement technologique, pour changer les sources d’énergie, ce serait génial. »
Il sent toutefois un effet de saturation en matière d’information. « Les gens disent : “Bon, ça va, on a compris.” Effectivement, on a compris, mais après, il faut agir », rappelle celui qui se fait critique à l’endroit des médias, des réseaux sociaux et des politiciens.
« Je pense que Don’t Look Up, par la parodie et la satire, peut avoir un effet positif. C’est flagrant. Il y a un truc qui nous tombe dessus et ça ne nous dérange pas. C’est bien vu. »
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